Ladyparts est la dernière série phare de la plateforme Brut X, créée par Nida Manzoor, réalisatrice, scénariste et productrice à la télévision britannique.
Féminisme et islam.
A priori, deux mots qui fâchent. Mais Ladyparts, c’est avant tout l’histoire de cinq jeunes-filles qui montent un groupe de punk. Ce sont des femmes, elles sont musulmanes, so what ? Montrer un groupe d’amies qui se crée, se dispute, se réconcilie autour d’un projet musical, ne semble pas révolutionnaire. Pourtant, en France, la présence de tels personnages reste encore timide, malgré Imane dans Skam ou encore les jeunes de Tu Préfères qui abordent sans complexe leur rapport à la religion.
On met la poussière sous le tapis ?
Pas du tout ! Les filles de Ladyparts évoquent chacune à leur manière leur rapport à leur communauté, dans toute leur diversité. La protagoniste, Amina, rêve de mariage traditionnel sans que ce soit une volonté de ses parents, qui eux aimeraient la voir s’amuser. Saïra, la leadeuse des Ladyparts, a un look de tomboy et a du mal à s’engager avec le garçon qu’elle aime, par peur de perdre son intégrité féministe. Ayesha quant à elle tombe amoureuse d’une fille, elle ne découvre pas son homosexualité dans la série et est d’emblée à l’aise avec ça, mais elle souffre d’une relation à sens unique et de sa propension à tout ressentir beaucoup trop fort. Enfin, Bisma, mère d’une petite-fille qu’elle élève avec son compagnon et noire, cherche à vivre de son art en tant qu’illustratrice de comic-books gore qui ont du mal à trouver leur public (on pense à la scène où elle tente de convaincre des lectrices dégoûtées que le sang de leurs menstruations est leur ami).
Épidémie de wokisme ?
Le sujet de Ladyparts, ce n’est ni le racisme, ni le sexisme, ni la religion. Ces sujets sont évidemment abordés dans les épisodes, mais le message véhiculé est avant tout d’oser être soi-même. Comme le dit Saïra, la plus résolument punk du groupe, “Tout ce que nous avons, c’est notre intégrité”. Une histoire d’amitié féminine et d’affirmation de soi, d’émancipation des tabous que nous nous créons. En 6×26 minutes, Nida Manzoor (réalisatrice de deux épisodes de Doctor Who) nous fait le portrait des ces 6 jeunes-femmes, mais aussi de leurs familles dysfonctionnelles ou non, et des hommes qui les entourent, tout en nuance et sans jamais porter de jugement. Comme le mouvement punk, Ladyparts n’est pas une série opportuniste, mais une brutale incursion du réel dans la fiction.
Les actrices de Ladyparts et la créatrice de la série, Nida Manzoor.
Représentation du réel.
Quand on voit les héroïnes de Ladyparts, on ne doute pas une seule seconde du fait qu’elles existent dans la vraie vie et pourtant ce concept nous semble révolutionnaire. Ainsi, si une série reposant sur une storyline aussi simple que “des amies montent un groupe de punk” fait autant de bruit, c’est peut-être le signal d’un manque criant de représentation dans nos œuvres audiovisuelles. En tout cas, d’une représentation où des jeunes femmes musulmanes sont montrées dans leur pluralité, leur complexité et ne sont pas réduites au stéréotype que s’en fait l’inconscient collectif occidental.
Et si c’était ça, le rôle d’une série ?
Le cinéma est le média du spectaculaire, au sens où un film advient toujours à un moment de bascule dans l’univers de son protagoniste. Même hors du genre du grand spectacle à proprement parler, le cinéma crée des figures mythiques. Au contraire, la série est le récit du quotidien, mettant en scène des contradictions psychologiques sans cesse renouvelées, desquelles un personnage ne s’extirpe jamais, sauf quand la série se termine. Ainsi, une série nous permet d’appréhender un personnage ou un groupe dans son intimité. Il y a donc toujours un effet-miroir accru entre les séries et la réalité, qui renforce l’empathie des spectateurs. En même temps, le dispositif sériel nous permet de considérer les motivations de chacun et de nuancer le concept de protagoniste et d’adversaire. Comme dans la vraie vie, il n’y a plus de méchants et de gentils, mais des êtres humains qui ont chacun leurs faiblesses, leurs envies et luttent en permanence pour trouver l’équilibre entre ce qu’ils veulent être et ce qu’ils sont réellement. Si chacune de nos héroïnes souffre à un moment de cette dissonance entre leur identité réelle, leur identité fantasmée et l’identité que leur colle la société (problème évoqué lorsque le groupe est soumis à une exposition médiatique violente), il y a une chose dont elles sont sûres : ensemble, elles sont Ladyparts.
Quelques mots sur l’autrice de cet article : Après une formation de scénariste au CEEA, Yvanna rejoint l’équipe de Bigger Than Fiction en tant que chargée de développement. Elle a déjà oeuvré en tant que critique sur un blog consacré au cinéma. Elle aime les oeuvres qui font preuve d’une réflexion philosophique et psychologique, la maîtrise de la narration et surtout, les auteur.ice.s qui ont des tripes.